Go ! La CE commence sa pression sur le PE pour le poisson volé
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Alors que les États membres de l'UE n'ont pas encore conclu sur la nouvelle proposition d'accord de pêche EU-Maroc pour les eaux du Sahara Occidental occupé, la Commission Européenne pousse déjà le Parlement Européen à se mettre au travail.

Publié 21 novembre 2018

Ci dessus : Greenpeace manifeste contre un bateau de pêche étranger opérant sous licence marocaine dans les eaux occupées.

Dans deux semaines, les deux parties au conflit du Sahara Occidental - le Maroc et le mouvement de libération Polisario - se rencontrent pour les premiers pourparlers de paix onusiens depuis une décennie.

Au lieu de faire pression sur la puissance occupante du Sahara Occidental quelques semaines avant les pourparlers de paix des Nations unies, la Commission européenne s'est engagé dans deux groupes de pression parallèles pour inclure le Sahara Occidental dans deux accords UE-Maroc. La Commission a modifié les accords pour les appliquer expressément au Sahara Occidental, après que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) ait déclaré qu'une telle inclusion violait le droit de l'UE.

L'un des deux groupes s'occupe de l'accord commercial UE-Maroc sur l'agriculture et la pêche (WSRW a couvert le processus de cet accord dans les institutions de l'UE). L'autre du nouvel accord et protocole de pêche.

Le 21 novembre 2018, la Commission européenne en charge de la pêche a lancé le lobby officiel de auprès du Parlement.

Cet après-midi, la Commission a officiellement présenté l'accord de partenariat pour la pêche durable entre l'UE et le Maroc, ainsi que son protocole, au sein des commissions parlementaires de la pêche et du budget. L'accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable remplace l'accord de partenariat dans le domaine de la pêche de 2007, suite à l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 27 février 2018, concluant que l'application de l'accord au Sahara Occidental était contraire aux règles du droit international, à savoir le principe de l'autodétermination. Les États membres ont alors décidé de charger la Commission de négocier un nouvel accord avec le Maroc, qui s'appliquerait explicitement au Sahara Occidental. En outre, un nouveau protocole - pour la mise en application technique de l'accord pour une période de quatre ans - devait être renégocié. Un nouvel accord et protocole ont été mis en place le 24 juillet 2018.

Les États membres et le Parlement doivent encore se mettre d'accord sur les textes proposés. Les choses s'intensifient au Conseil et un vote est prévu dans les prochaines semaines. Au Parlement, la procédure prendrait normalement un peu plus de temps, car différentes commissions doivent évaluer les propositions avant qu'un vote en plénière puisse être programmé. Ceci à la grande frustration de l’Espagne, dont le ministre de la Pêche, Luis Planas, s’est rendu au Parlement européen à la mi-octobre pour demander une "ratification rapide". La flotte espagnole est le principal bénéficiaire des licences de pêche disponibles dans le cadre de l'accord et du protocole proposés. La pêche de l'UE dans les eaux en haute mer au Sahara Occidental découle d'un accord signé par le régime franquiste avec le gouvernement marocain, alors que l'Espagne l'autorisait à l'annexion illégale du territoire en 1975.

Il semble que l'insistance de l'Espagne et de la Commission européenne ait fonctionné, et la procédure du Parlement sera précipitée : les présidents des groupes politiques ont décidé que toutes les résolutions seraient adoptées d'ici février 2019 - dont cet accord de pêche. Des rapporteurs ont déjà été nommés : pour la commission de la pêche, ce sera le démocrate-chrétien français Alain Cadec, pour la commission du budget, le démocrate-chrétien portugais José Manuel Fernandes.

Bien que la Commission devait présenté l'accord aujourd'hui, le rapporteur Cadec a saisi l'occasion pour présenter ses conclusions préliminaires : cet accord est conforme à la décision de la CJUE, au consentement de la population locale et profite à la population locale. De plus, il affirme qu'il s'agit d'une pêche durable dans la région.

La Commission était également sûre d'elle. Le directeur général de la DG MARE, João Aguiar Machado, a déclaré que le nouvel accord était crucial pour l'UE et le Maroc, ainsi que pour leurs relations bilatérales, ainsi que pour le "peuple Sawari" (sic). Les exigences de la Cour ont été respectées, a t il déclaré : l'accord fait explicitement référence au Sahara Occidental. En outre, la Commission et le SEAE ont déployé "tous les efforts raisonnables" pour obtenir le consentement de la population locale par le biais "d'un processus de consultation approfondi". Et un échange de lettres entre l'UE et le Maroc témoigne du respect de l'UE pour le processus des Nations unies, sans nuire à son issue. Vincent Piket du SEAE a souligné que l'accord était soutenu par les personnes consultées, qui avaient également des suggestions pour accroître les bénéfices et les investissements dans le secteur de la transformation du poisson, les débarquements obligatoires et l'emploi des marins locaux. M. Piket a expliqué que le Polisario ne souhaitait pas participer aux consultations, à l'instar d'un certain nombre d'ONG internationales, pour des raisons politiques. Il a ajouté que l'impact positif de l'accord est visible au Sahara Occidental, où des "infrastructures cruciales" ont été construites avec le soutien structurel de l'UE. Il a également indiqué que l'accord de commerce et de pêche se renforçaient mutuellement : l'industrie de la transformation du poisson serait développée au Sahara Occidental, ce qui n'aurait de sens que si les produits pouvaient être exportés dans le cadre de l'accord commercial.

Les députés n'étaient pas d'accord. Tous, à l'exception des eurodéputés espagnols Aguilera Garcia (S & D) et Millán Mon (PPE) et de l'eurodéputé Coburn (UKIP), ont émis des doutes sur la légalité de la proposition.

L'eurodéputé finlandais Nils Torvalds (ALDE) a averti que l'UE risquait de perdre plus d'années en procès, ce qui ne profiterait pas à sa flotte. L'eurodéputée italienne Renata Briano (S & D) a déclaré que "nous nous dirigeons vers des problèmes" et que le consentement n'a pas été obtenu du Polisario - qui est reconnu par l'ONU comme représentant le peuple du Sahara Occidental. Ulrike Rodust (Allemagne, S & D) et Isabelle Thomas (France, ADLE) n'ont pas apprécié d'être pressées, craignant que cela ne nous "conduise à une perte de contrôle" d'un point de vue juridique. I. Thomas a ajouté que le Polisario avait été invité à la consultation avec un préavis de deux jours, ce qui semble injuste. Linnéa Engström (Suède, Verts / ALE) a alerté sur le fait que l'argent avait été versé au Maroc au titre du Protocole précédent pour des projets au Sahara Occidental, et a demandé quelles mesures était prise pour récupérer cet argent dépensé illégalement. Elle a demandé pourquoi la Commission financerait des projets de colons en terre occupé, étant donné que la propre évaluation de la Commission indique que les Sahraouis ne travaillent pas dans le secteur de la pêche, et demandé si le Maroc peut légalement délivrer des certificats au Sahara Occidental, compte tenu de son absence de souveraineté. Ana Miranda (Espagne, Verts / ALE) a souligné la confusion constante de la Commission entre les concepts de peuple et population. C'est le peuple qui doit consentir et bénéficier - pas la population, a-t-elle dit. Pour l'eurodéputée A. Miranda, la prochaine étape consiste à signer deux accords de pêche : l'un pour le Maroc et l'autre pour le Sahara Occidental. Le socialiste portugais Marinho e Pinto a insisté sur le fait que la loi avait été respectée : l'UE est ancré dans un État de droit - et "nous ne pouvons pas aller à l'encontre de notre Cour suprême".

Bien que l'avis du rapporteur Cadec ne soit pas encore disponible, il a annoncé un délai extrêmement serré pour les amendements : le 3 décembre 2018.

Vieux vin, nouvelle bouteille

Le nouvel accord se distingue du précédent par un aspect principal : il fait maintenant explicitement référence au Sahara Occidental dans son champ d’application. Plus précisément, le territoire est défini par l'art. 14 et art. 6 de l'accord, en tant que territoire soumis, d'une part, au traité instituant l'Union européenne et, d'autre part, aux lois et règlements marocains régissant les activités de pêche dans cette zone.

"Etant donné que la Cour a déjà rejeté en février un quelconque droit du Maroc ce territoire, il est difficile de voir en quoi l'idée de signer un nouvel accord avec le Maroc pour ce même territoire tiendrait le coup. Consulter une liste d'interlocuteurs, qui n'inclut pas la représentation du peuple du Sahara Occidental, ne semble pas respecter le droit à l'autodétermination du peuple du Sahara Occidental - principe fondamental énoncé par la Cour ", a déclaré Sara Eyckmans de Western Sahara Resource Watch.

Le nouveau protocole proposé offre au Maroc plus d’argent des contribuables européens que le précédent : le protocole de 2013 a coûté à l’UE un budget annuel de 30 millions d’euros, divisé en un droit d’accès de 16 millions d’euros et un soutien sectoriel supplémentaire de 14 millions d’euros - dépenses destinées au développement du secteur de la pêche au Maroc. Cependant, cet argent a été principalement dépensé au Sahara Occidental occupé, selon ce que WSRW a démontré. Outre l'argent de l'UE, le Maroc a également perçu des redevances des pêcheurs européens, pour un montant d'environ 10 millions d'euros par an. La proposition actuelle coûtera plus cher et augmentera encore progressivement : pour la première année, l’UE versera au Maroc 19,1 millions d’euros pour l’accès, 17,9 millions d’euros pour l’aide sectorielle, et les pêcheurs débourseront 11,1 millions, soit un total de 48,1 millions d'euros. Pour la deuxième année, le montant total de 50,4 millions d'euros sera réparti comme suit : 20 millions d'euros pour l'accès, 18,8 millions d'euros pour le soutien sectoriel et 11,6 millions d'euros pour les pêcheurs. Pour la troisième et la quatrième année, l’UE dépensera 21,9 millions d’euros en deniers publics pour l’accès, 20,5 millions d’euros en soutien sectoriel et les pêcheurs 12,7 millions d’honoraires, soit 55,1 millions d’euros. Au total, une augmentation significative, mais toujours inférieure aux 80 millions d’euros demandés par le Maroc.

En contrepartie d'un chèque plus élevé, les Marocains offre un quota plus élevé de pélagiques - exclusivement au Sahara Occidental. La catégorie 6 de l'accord - couvrant le chalutage industriel pélagique ou semi-pélagique et la pêche à la senne - correspond à la zone comprise entre 26 ° 07'00 "N et 20 ° 46'13" N, entièrement située dans le Sahara Occidental occupé. En d'autres termes, le Maroc risque de recevoir plus d'argent des contribuables européens pour avoir offert plus de poisson d'un territoire sur lequel il n'a aucun droit.

Le quota de la catégorie 6 augmente progressivement : un total de 18 navires peuvent pêcher 85 000 tonnes la première année, 90 000 tonnes la deuxième année et 100 000 tonnes les troisième et quatrième années du protocole. Les 5 autres catégories sont pratiquement inchangées par rapport au protocole de 2013 : la seule différence est une légère augmentation du nombre de navires autorisés à pêcher dans la catégorie 1, qui couvre la pêche artisanale dans le nord du Maroc, soit 22 au lieu de 20 navires. Sur l'ensemble des catégories, 128 navires battant pavillon de l'UE seront autorisés à pêcher au Maroc et au Sahara Occidental occupé, conformément au protocole proposé. La majeure partie de l'activité aura lieu au Sahara Occidental - un territoire de la Cour de justice de l'Union européenne considéré comme "séparé et distinct" du Maroc.
 

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