L’ancien Représentant Spécial de l'ONU au Sahara Occidental, Francesco Bastagli, déplore le manque de volonté du Parlement Européen à demander un avis juridique sur l'accord de pêche de l’UE avec le Maroc.
Francesco Bastagli,
Dans
Mail & Guardian, Afrique du Sud
21 oct 2011
Il y a deux semaines une confortable majorité de parlementaires européens a rejeté une proposition visant à demander l'avis de la Cour Européenne de Justice sur la légalité d'un accord de pêche de 2007 entre l'Union Européenne et le Maroc. Qu'est-ce que cet événement apparemment mineur a à voir avec le printemps arabe, la promotion des droits civils et politiques et d'autres préoccupations en première page des médias internationaux?
L'accord de pêche donne aux flottes de pêche européennes l'accès aux eaux territoriales du Sahara Occidental, ancienne colonie envahie par le Maroc au moment du retrait de l'Espagne en 1976. Selon le droit international, la présence du Maroc au Sahara Occidental est illégale : en vertu de la Charte des Nations Unies le peuple Sahraoui a le droit inaliénable de décider librement de son futur statut à travers un référendum d'autodétermination. Jusque-là, l'exploitation des ressources naturelles du Sahara Occidental par le Maroc, du précieux phosphates aux poissons, viole une norme bien établie à savoir qu'une puissance occupante ne peut disposer librement des ressources d'un territoire. Le gouvernement des Etats-Unis exclut expressément de ses accords commerciaux avec Rabat leur applicabilité sur le Sahara occidental.
Par sa décision, le Parlement Européen a épargné aux gouvernements de l'UE le rappel embarrassant que l'accord de 2007 est en contradiction flagrante avec les droits souverains des Sahraouis. La France et l'Espagne, des alliés et lobbyistes fidèles du Maroc, seront satisfaits que leur soutien à la dynastie Alaouite a de nouveau battu la rhétorique européenne sur la transparence et la primauté du droit. Et l'industrie de la pêche européenne pourra continuer à piller les espaces de pêche du Sahara Occidental, qui sont parmi les plus riches au monde.
Dans le même temps, parmi les Sahraouis, il y a le désenchantement croissant de l'approche modérée adoptée par leur mouvement de libération nationale en exil, le Front Polisario. Dans une récente visite dans des camps où les réfugiés sahraouis survivent misérablement dans le désert algérien, j'ai été frappé par la frustration et la rage des jeunes. La résistance armée a été mentionnée à plusieurs reprises comme la seule alternative restante après des décennies d'efforts qui ont échoué à obtenir des recours juridiques à l'ONU et ailleurs.
Les Sahraouis se révoltent dans le territoire occupé. En novembre dernier, les forces de sécurité marocaines ont attaqué et complètement brûlé un campement à Gdeim Izik, près de El Aaiun la capitale du Sahara Occidental, où environ 15 000 personnes avaient dressé leurs tentes dans une manifestation spontanée. Bien que le Maroc ne permette pas aux médias internationaux l’accès au Sahara Occidental, il y a des preuves crédibles de la mort ou mutilation de plusieurs manifestants. Noam Chomsky, a postérieurement identifié la manifestation de Gdeim Izik comme marquant le début du mouvement du printemps arabe.
Depuis lors, le territoire occupé a connu un nombre croissant d'affrontements. Il y a deux semaines sept personnes ont été tuées dans la ville de Dakhla (sud du Sahara Occidental) dans des affrontements entre la population sahraouie et les colons marocains. Ces décès ont été largement non précisés.
Dans cet environnement fragile, la dernière victoire de la realpolitik au Parlement Européen prend une connotation plus large. Elle renforce la perception des sahraouis que le partenariat privilégié du Maroc avec l'Europe est enraciné dans un environnement politique biaisé et inconditionnel. Elle reflète également une cynique norme à deux vitesses, quand les pays européens qui prétendent soutenir le printemps arabe ont choisi d'ignorer une revendication légitime et l'aspiration à la liberté et la souveraineté du peuple Sahraoui.
Le Parlement Européen aura l'occasion de faire amende honorable en février prochain lorsque l'accord de pêche avec le Maroc sera présenté pour un renouvellement à long terme. Les eaux territoriales du Sahara Occidental devraient être exclues de son applicabilité. Cependant, le défi du Sahara Occidental n'est pas seulement d'honorer des obligations internationales envers le peuple de la dernière colonie d'Afrique. C'est aussi un cas d'école de la prévention des conflits. Sauf si l'Europe et les Etats-Unis lancent un effort immédiat et crédible pour sortir de l'impasse politique, il peut y avoir des conséquences désastreuses pour la paix et la sécurité de la région déjà fragile du Maghreb.
Francesco Bastagli est un ancien Secrétaire Général adjoint de l'ONU; de 2005 à 2006 il a servi comme représentant spécial de Kofi Annan pour le Sahara Occidental et a dirigé la mission de l'ONU dans le territoire.
Traduction non-officielle WSRW France