L'UE fait un accord sur le Sahara qui viole le jugement de sa cour
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La Commission Européenne et le Maroc ont paraphé hier un accord sur le commerce des marchandises originaires du Sahara Occidental sans le consentement du peuple du territoire, contrairement aux ordonnances de la Cour de justice de l'UE.

Publié 05 février 2018

La Commission européenne a signé le 31 janvier 2018, un nouvel accord commercial avec le gouvernement marocain. Le document a été signé à Bruxelles avec la présence de deux ministres marocains. L'accord ignore l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 21 décembre 2016, qui a déclaré que le Sahara Occidental est un territoire "séparé et distinct" du Maroc, et que par conséquent les représentants du peuple du territoire doivent consentir à tout accord commercial ou d'association de l'UE affectant leur territoire.

La condition préalable du consentement des représentants du peuple du territoire a été totalement ignorée pendant les pourparlers et ne se trouverait nulle part dans l'accord conclu.

Le document n'a pas encore été formellement approuvé par le dit Collège des Commissaires, une formalité qui devrait avoir lieu la semaine prochaine. Il n'est pas clair sur quels points, le cas échéant, cet accord est différent de celui qui a été invalidé par la Cour en 2016. L'accord couvre le traitement préférentiel des produits de la pêche et de l'agriculture originaires du Sahara Occidental occupé illégalement.

"Western Sahara Resource Watch est profondément choqué par le comportement répréhensible de la Commission européenne qui fait preuve d'un mépris flagrant pour le jugement de la Cour de justice et entrave les efforts de paix de l'ONU au Sahara Occidental. L'Europe devrait être guidée par le respect du droit et la rectitude morale, et non par le cynisme et l'insouciance.", a déclaré Morten Nielsen de Western Sahara Resource Watch (WSRW).

Selon des sources de l'UE, cet accord soudain a été une surprise totale pour tout le monde à Bruxelles. La Commission n'a donné aucun signe sur l'accord à venir quand elle a informé les hauts responsables du Parlement seulement quelques jours auparavant. Selon certaines informations, la Commission avait souligné qu'elle s'engageait à se conformer à l'arrêt et tenait à consulter diverses parties prenantes, y compris la société civile sahraouie et même le Front Polisario. Cela semble maintenant avoir été un leure et dans les coulisses, la Commission était en train de finaliser l'accord.

"C'est une insulte au Parlement européen et à la Cour de justice", souligne Nielsen.

Dès le début des négociations avec le Maroc, l'approche de la Commission à l'égard de la décision de la Cour de justice de l'UE est restée en deçà des normes fondamentales de l'UE en matière de négociations commerciales transparentes et responsables. La principale source de préoccupation a été que la Commission semble avoir délibérément mal interprété les conclusions de la Cour selon lesquelles de tels accords devaient obtenir le "consentement des représentants du Sahara Occidental", pour viser plutôt à "consulter les populations du Sahara Occidental". En remplaçant l'un par l'autre, il était donc possible pour les institutions de l'UE de marginaliser le peuple sahraoui, à la fois en parlant aux mauvaises personnes, et en ne tenant pas compte de leur farouche opposition à l'accord.

"La Commission n'a visiblement consulté personne, qu'il s'agisse du Front Polisario, de la société civile sahraouie ou des organisations marionnettes marocaines créées pour légitimer l'occupation marocaine. La Commission de l'UE et le SEAE n'ont apparemment pas pris de mesures pour obtenir le consentement de la représentation du peuple du Sahara Occidental, le Front Polisario", a déclaré M. Nielsen.

WSRW s'attend à ce que l'accord soit envoyé aux États membres et au Parlement en mars, et qu'il sera abordé dans les commissions parlementaires à partir d'avril.

D'après ce que WSRW comprend, la Commission s'est placée dans une situation imprescriptible pendant les négociations, où il n'y avait tout simplement pas la possibilité de se conformer à la décision de la Cour tout en satisfaisant le gouvernement marocain. Cette soudaine signature de l'accord peut donc être considérée comme un autre signe de bonne volonté pour un gouvernement marocain de plus en plus nerveux. Et il achète à l'UE quelques semaines de plus, jusqu'à ce qu'un jugement de la CJUE soit rendu sur la légalité de l'accord de partenariat de pêche UE-Maroc le 27 février 2018.

Le 10 janvier 2018, l'avocat général de la Cour européenne Melchior Wathelet a rendu un avis avant la décision de justice, déclarant que le droit à l'autodétermination est une obligation erga omnes et que l'Union a manqué à ses obligations. Il a souligné que l'Union a le devoir de ne pas reconnaître une situation illégale résultant d'une violation des règles erga omnes du droit international. En outre, l'Avocat général a estimé que l'Union fournissait aide et assistance au maintien l'occupation illégale résultant de la violation du droit du peuple du Sahara Occidental à l'autodétermination, lors de la conclusion d'un accord international avec le Maroc. Tout cela pris en compte, il a conclu que l'accord de pêche de l'UE avec le Maroc est donc "invalide", puisqu'il incluait les eaux au large du Sahara Occidental.

D'autres pays, tels que la Norvège, la Suisse, l'Islande, le Liechtenstein et les États-Unis, ont des accords commerciaux légaux avec le Maroc qui ne s'appliquent explicitement pas au Sahara Occidental. L'UE, sous la pression française, hésite à suivre cette voie.

Le 30 janvier, Western Sahara Resource Watch (WSRW) a reçu une invitation du Service européen pour l'action extérieure (SEAE) - le service des affaires étrangères de l'UE - à une "réunion informelle" le 6 février pendant laquelle le SEAE présenterait ses travaux pour se mettre en conformité avec l'arrêt de la Cour et "pour connaître votre point de vue sur les bénéfices qui pourraient en découler pour la population concernée par l'accord".

WSRW a répondu à cette demande le 1er février 2018 en soulignant qu'il ne représentait aucunement le peuple sahraoui. Compte tenu de ce qui semble maintenant être un fait accompli, WSRW a également demandé au SEAE de clarifier le but de l'invitation à la réunion. WSRW a également souligné sa confusion quant à la raison pour laquelle les "avantages" de la "population" devaient être discutés, car la CJUE (paragraphe 106) avait jugé cela non pertinent pour évaluer la légalité de l'accord. Enfin, WSRW a déclaré qu'il était effectivement intéressé d'échanger des vues avec le SEAE, mais qu'il ne souhaitait pas s'engager dans un processus qui risquerait de compromettre l'obligation d'obtenir le consentement des représentants du peuple du territoire, en tant que corollaire de leur droit à l'autodétermination.


WSRW recommande :
WSRW recommande à tous les États membres de l'UE de demander à Cecilia Malmström, commissaire chargée du commerce, et à Pierre Moscovici, commissaire à la politique douanière :

  • de justifier cette conclusion rapide de négociations délicates, alors que les aspects critiques semblent ne pas avoir été résolus, à savoir le consentement préalable du peuple du Sahara occidental
  • d'expliquer pourquoi les parties prenantes concernées n'ont pas été consultées avant la signature de l'accord, notamment le seul représentant du peuple du Sahara Occidental, le Front Polisario, ainsi que les organisations sahraouies et la société civile de l'UE
  • d'expliquer comment il a cherché à défendre les intérêts européens pendant les négociations, alors qu'il n'avait pas effectué d'évaluation d'impact préalable et n'avait pas non plus à sa disposition les données de base concernant les échanges de l'UE avec le territoire
  • de démontrer que le résultat des négociations est conforme à l'arrêt de la Cour de 2016 et ne sera donc pas invalidé dans les procédures judiciaires futures.
     

WSRW recommande au Parlement européen :

  • de demander à la Commission si l'organe représentatif du Sahara Occidental a donné son consentement à l'accord.
  • de demander une liste complète des parties prenantes, le cas échéant, représentant le Sahara Occidental, qui ont été consultées.
  • de demander quelle est la pertinence de ces institutions, compte tenu des exigences légales que le Polisario doit consentir.
  • de demander à la Commission d'expliquer pourquoi elle a envoyé des informations contradictoires aux législateurs sur l'état actuel des négociations
  • de demander à la Commission d'expliquer la logique de l'accélération d'un processus de négociation quelques jours avant une décision de la Cour ayant un rapport direct avec les négociations en cours. 
     

WSRW recommande à toutes les entreprises basées en UE :

  • de mesurer les risques juridiques, moraux et financiers considérables liés au commerce avec le Sahara Occidental occupé et exiger des institutions européennes des garanties efficaces contre de tels risques.
     
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