La Commission critiquée pour une dérogation sur l'origine des produits du Sahara Occidental
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Aujourd'hui, des représentants de tous les groupes politiques au Parlement Européen ont passé au grill la Commission Européenne sur sa volonté d'assouplir les règles de l'UE afin d'apaiser le Maroc concernant l'étiquetage des produits provenant du Sahara Occidental occupé.

20 novembre 2025

La commission de l'agriculture et du développement rural (AGRI) du Parlement européen a tenu aujourd'hui un débat extraordinaire au cours duquel la Commission européenne a tenté de défendre son règlement délégué très controversé sur l'étiquetage d'origine des fruits et légumes originaires du Sahara Occidental occupé.

La proposition vise à modifier le règlement délégué (UE) 2023/2429 afin d'introduire une dérogation aux règles de l'UE en matière d'étiquetage d'origine. Au lieu d'indiquer le pays d'origine – qui, selon la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE), doit être le Sahara Occidental – les produits seraient étiquetés avec des « régions d'origine » : « Laâyoune-Sakia El Hamra » et « Dakhla-Oued Eddahab » qui sont des divisions administratives imposées par le Maroc sur un territoire sur lequel il n'exerce aucune souveraineté.

Des députés européens de tous bords politiques – PPE, Verts, Gauche, Patriotes pour l’Europe – ont réagi avec une rare unanimité : la proposition est juridiquement indéfendable, contredit les arrêts de la CJUE, induit les consommateurs en erreur et récompense l’occupation illégale du Maroc.

Une objection transpartisane au règlement délégué a été déposée pour la séance plénière de mercredi prochain, notamment par le groupe PPE.

La séance d’aujourd’hui est disponible en vidéo sur le site internet du Parlement européen.

La Commission admet introduire une dérogation aux règles européennes habituelles.

Présentant la proposition, Brigitte Misonne, directrice générale adjointe de la DG AGRI, a ouvertement reconnu que la Commission s’écartait des règles de l’UE en matière d’étiquetage d’origine : « La dérogation à la règle générale qui consiste à indiquer le pays d’origine… Nous avons donc dû introduire une dérogation. »

Elle a ensuite déclaré que ce nouveau système, consistant à remplacer « Sahara Occidental » par des régions administratives marocaines, ne découlait ni du droit de l'UE ni d'un arrêt de la Cour, mais de discussions avec le Maroc : « Le choix d'indiquer l'origine régionale sur l'étiquette est le fruit de négociations avec le Maroc.»

Cette déclaration a immédiatement provoqué l'indignation dans la salle. Herbert Dorfmann, député européen italien du PPE, a rétorqué : « C'est précisément là le problème. Il y a un arrêt. La Commission européenne ne peut pas traiter un arrêt avec le gouvernement marocain. C'est absurde. »

La Commission déforme l'arrêt de la Cour et qualifie le Sahara Occidental de « partie d'un pays ».

Pour expliquer sa décision de modifier la législation, le représentant de la Commission a déclaré :

« La Cour ayant statué en insistant sur le fait que le Sahara Occidental fait partie d'un pays, nous ne pouvions laisser la législation inchangée… »

Cette affirmation – selon laquelle le Sahara Occidental serait « partie d'un pays » – est contraire au droit international, à des décennies de positions de l'ONU et à la Cour de Justice elle-même, qui a maintes fois affirmé que le Sahara Occidental est un territoire « séparé et distinct » du Maroc. Elle contredit également les arguments avancés par la Commission devant la Cour, où elle a reconnu que le Sahara Occidental ne fait pas partie du Maroc.

Bien qu'elle reconnaisse que la Cour « exige l'indication du Sahara Occidental comme origine », la Commission a choisi de ne pas suivre l'arrêt, préférant des conditions négociées avec la puissance occupante.

Cette contradiction n'est pas passée inaperçue auprès des députés européens. Les représentants de tous les partis ont vivement critiqué cette approche. Aucun député n'a défendu la démarche de la Commission visant à contourner la plus haute juridiction du pays.

« Culot scandaleux », « Trahison des consommateurs », « Contre le droit international »

Herbert Dorfmann (Italie, PPE) a vivement remis en question la capacité de la Commission à se prétendre conforme au droit : « Je suis sidéré par le culot de la Commission européenne et la manière dont elle ignore les arrêts de la CJUE concernant les accords de libre-échange.» Il a également contesté les prétendus « avantages pour le peuple sahraoui » mis en avant par l’accord : « Ce que le traité stipule, c’est que l’avantage réside dans la construction par l’Union européenne d’une usine de dessalement au Sahara Occidental pour produire de l’eau destinée à la culture de tomates exportées vers l’Union européenne. Quel est l’intérêt pour la population du Sahara Occidental ? La question est légitime. »

D'un point de vue politique très différent, Mireia Borrás Pabón (Espagne, Patriotes pour l'Europe) est parvenue à la même conclusion : « Après un an au Parlement, à défendre l'agriculture européenne, nous en avons vu des vertes et des pas mûres… Mais nous n'avons jamais vu une telle insolence.» Elle a ajouté : « Nous sommes ici pour défendre l'agriculture, mais vous, vous défendez les intérêts d'un pays tiers, au mépris d'un arrêt de la CJUE. Cet arrêt était on ne peut plus clair. Accorder l'accès en franchise de droits au Maroc serait illégal, et tout produit en provenance du Sahara Occidental doit porter la seule mention « Sahara Occidental » comme origine. Cela est conforme à l'arrêt. Permettez-moi de le lire. Je crois que les agissements de la Commission bafouent la décision de la CJUE. Nous sommes là pour défendre les agriculteurs et les consommateurs européens. Nous ne sommes pas le bureau commercial marocain.

Thomas Waitz (Autriche, Verts/ALE) a souligné que la Commission avait sciemment bafoué le droit international : « Vous saviez que c’était contraire au droit international. Et vous revenez maintenant avec une proposition qui, à mon avis, l’est encore une fois. »

Il a remis en question la pertinence des appellations régionales marocaines pour le territoire qu’il occupe : « Qui, au sein de l’Union européenne, connaît ces deux noms arabes de deux régions ? C’est une trahison envers nos consommateurs. Il faut de la transparence quant à l’origine de ces produits.»

« Désolé, mais cela n’est pas conforme au droit international. Et ce sont nous, Européens, qui plaidons très souvent pour le respect du droit international. Nous devrions prendre nos responsabilités au sérieux et agir de même lorsqu’il s’agit de produits agricoles du Sahara Occidental. C’est de là qu’ils viennent. C’est ainsi qu’ils doivent être étiquetés. »

Luke Ming Flanagan (Irlande, Gauche) a insisté sur les implications institutionnelles : « On entend tous les eurodéputés, les élus, qu’on les apprécie ou non, nous sommes tous élus ici, aller dans une direction, tandis que la Commission en prend une autre. Et l’enjeu dépasse largement ce simple problème. Il s’agit de savoir qui prend les décisions au sein de l’Union européenne.»

La rapporteuse de Gauche/INTA (Lynn Boylan) a soulevé des questions juridiques fondamentales : « Pourquoi la politique d’étiquetage interne de l’UE est-elle subordonnée à un accord avec le Maroc ? Existe-t-il des précédents ? Comment cela peut-il être conforme à l’arrêt de la Cour, qui exigeait clairement que l’appellation Sahara Occidental soit utilisée ?» Elle a averti que l’approche de la Commission risquait d’entraîner un nouveau revers devant la CJUE, nuisant à la crédibilité de l’UE.

Le président de la commission, Daniel Buda (PPE), a exhorté à plusieurs reprises la Commission à expliquer comment son plan pourrait être compatible avec les arrêts contraignants de la CJUE : « Quiconque nous suit peut légitimement se demander comment la Commission européenne peut enfreindre une décision de la Cour de justice de l’Union européenne. »

La Commission a reconnu son incapacité à répondre aux objections juridiques soulevées et a promis d'y répondre par écrit, sans toutefois s'engager sur un délai.

Les députés européens ont demandé cette réponse écrite avant mardi, en prévision d'un vote en séance plénière le 26 novembre sur une objection au règlement délégué, soutenue par plusieurs groupes politiques, dont le PPE, le plus important au Parlement.

Ce niveau de colère transpartisane est très inhabituel et témoigne de graves préoccupations institutionnelles quant à une possible atteinte à la protection des consommateurs, à la jurisprudence contraignante de la CJUE et à la modification de la législation interne de l'UE dans le seul but d'éviter de mentionner le Sahara Occidental.

Avec le dépôt d'une objection et le vote en séance plénière imminent, la controverse entourant l'accord commercial UE-Maroc – et les responsabilités de l'UE envers le peuple du Sahara Occidental – devrait s'intensifier dans les prochains jours.
 

 

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