Lors d'une audition au Parlement Européen en début de semaine, les eurodéputé·es se sont indigné·es de la façon dont la Commission les a courtcircuité·es pour imposer un nouvel accord couvrant le Sahara Occidental occupé, en violation des décisions de la Cour de Justice de l'Union Européenne.
Onze mois après que la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) a de nouveau annulé l'accord commercial UE-Maroc pour avoir inclus le Sahara Occidental occupé dans son champ d'application sans le consentement des Sahraouis, la Commission Européenne et le Maroc ont soudain dévoilé un nouvel accord qui, selon eux, « résout » les problèmes juridiques – une approche qu'ils vont appliquer à un nouvel accord de pêche.
Le 6 octobre, la Commission a présenté le nouvel accord à la commission du commerce international (INTA) du Parlement européen, après son entrée en application provisoire, contournant ainsi le droit de regard et d'approbation du Parlement. Cette décision a déclenché cette audition extraordinaire, au cours de laquelle les députés ont exprimé leur mécontentement et leurs critiques.
Alors que les députés des groupes S&D, Verts/ALE, La Gauche et Renew Europe ont vivement critiqué la Commission, les députés de droite des groupes ECR et PfE ont défendu le rôle du Maroc et présenté le débat comme une question de « partenariat stratégique ». Malgré cela, un malaise évident régnait, d'un bord à l'autre de l'échiquier politique, sur la manière dont la Commission a géré le processus et sur le manque de transparence qui l'a entouré.
L'application provisoire suscite l'indignation
Tous groupes politiques confondus, les eurodéputés ont condamné la Commission pour avoir imposé l'application provisoire de l'accord, entrée en vigueur le 3 octobre, avant même de transmettre officiellement les propositions au Parlement pour approbation.
Le président de la commission, Bernd Lange (S&D, Allemagne), a qualifié la procédure de « totalement inacceptable » et a averti qu'elle pourrait saper la confiance du Parlement envers la Commission. Il a rejeté l'argument de la Commission selon lequel elle était confrontée à un « délai serré » avant l'expiration, le 4 octobre 2025, de la période de transition accordée par la Cour.
« Les raisons que vous avez invoquées ne sont pas valables », a déclaré M. Lange, soulignant que le Parlement avait donné son avis sur l'accord post-Brexit au Royaume-Uni « en deux jours ». « La pression du temps ne saurait justifier l'ignorance du Parlement. » L'argument de « l'urgence » est également démenti par la jurisprudence. Après l'annulation par la CJUE du précédent accord UE-Maroc en décembre 2016, les produits du Sahara Occidental sont entrés dans l'UE pendant deux ans et sept mois sans droits de douane préférentiels, jusqu'à l'entrée en vigueur du nouvel accord en juillet 2019.
Une négociation de cinq jours – après un an de silence
Plusieurs députés se sont interrogés sur la rapidité avec laquelle un accord aussi complexe a pu être négocié. La rapporteure permanente du Parlement pour le Maghreb, Lynn Boylan (The Left, Irlande), a rappelé à la Commission que l'INTA avait demandé une réunion d'information en mars 2025, qui lui a été refusée au motif que la Commission « ne disposait pas d'informations à partager sur les prochaines étapes concernant le dossier du Sahara Occidental ».
Les négociations avec le Maroc n'auraient duré que cinq jours (du 10 au 15 septembre), ce qui laisse planer un doute sur l'éventualité qu'ils aient en fait débuté avant même que la Commission ne reçoive un mandat du Conseil.
« Il vous a fallu un an, une année entière, à l'exception de quelques semaines, pour procéder à une analyse complète de l'arrêt, puis d'arriver en quelques semaines à un mandat, une conclusion et un accord avec les autorités marocaines. Où était le temps d'impliquer le Parlement européen ? Et où était le temps de faire le nécessaire pour obtenir le consentement du peuple sahraoui ? », a demandé Kathleen Van Brempt (S&D, Belgique).
Truc d'étiquetage : dissimuler le Sahara Occidental derrière des régions marocaines
Dans le cadre du nouvel accord, les produits du Sahara Occidental bénéficieront des mêmes préférences tarifaires que les produits marocains et seront identifiés par leur « région de production ». Maria Isabel García Catalán, fonctionnaire de la Commission, a déclaré qu'une référence à « deux régions, Dakhla et Laâyoune » figurerait sur toutes les « preuves d'origine, certificats d'origine, déclarations sur facture et sur l'étiquetage », confirmant ainsi que les certificats et étiquettes utiliseront uniquement les noms régionaux administratifs imposés par le Maroc – Laâyoune-Sakia el Hamra et Dakhla-Oued Eddahab – sans aucune référence au « Sahara Occidental ».
Les députés ont averti que cette approche contredit la conclusion de la Cour selon laquelle le territoire est « séparé et distinct » du Maroc et induit les consommateurs européens en erreur.
« Est-ce qu'on y trouvera la mention « Sahara Occidental ? Oui ou non ? » a demandé Vicent Marzà Ibáñez (Verts/ALE, Espagne). « Les consommateurs méritent de savoir d'où viennent les produits qu'ils achètent. »
L'audition n'a pas abordé les incohérences pratiques de ce système. La région administrative marocaine « Laâyoune-Sakia el Hamra » s'étend en partie au Maroc même, tandis que d'autres parties du Sahara Occidental occupé sont administrativement regroupées dans la région Guelmim-Oued Noun – des zones qui, selon la logique de la Commission, seraient traitées comme territoire marocain.
Consentement présumé et logique discutable des « avantages »
Plusieurs députés ont condamné la Commission pour avoir une fois de plus exclu le peuple sahraoui, dont le consentement a été jugé essentiel à plusieurs reprises par la Cour de justice.
Florian Ermacora, DG MENA, a déclaré que le consentement pouvait être « présumé » car l'accord pourrait apporter des « avantages » aux Sahraouis. Il a ajouté que les conditions fixées par la Cour pour un consentement présumé sont respectées parce que « l'Union européenne s'engage à soutenir la région du Sahara Occidental, en finançant des projets dans des secteurs clés tels que l'eau, l'énergie et d'autres ». Ermacora a ajouté que, dans le cadre de cette déclaration, l'UE s'engage également à « poursuivre l'aide humanitaire aux Sahraouis encore présents dans les camps de Tindouf » et à « soutenir des programmes adéquats dans des secteurs tels que l'éducation, les compétences et la culture, destinés aux populations du Sahara Occidental qui ne se trouvent ni au Sahara Occidental ni à Tindouf ».
Ermacora a ajouté que la Commission avait « une vision très claire » pour surveiller la manière dont les avantages parviennent aux Sahraouis, mais n'a pas expliqué comment cela fonctionnerait au-delà de vagues références à la « quantification des ressources » par le biais d'un « mécanisme de contrôle régulier ».
La question de savoir si la Commission a sollicité le consentement du peuple sahraoui, si celui-ci a été invité au processus de négociation ou à participer au « mécanisme de contrôle régulier », est restée sans réponse.
Saskia Bricmont (Verts/ALE, Belgique) a soulevé une question importante à ce propos : « Comment garantir que les investissements de l’UE ne profitent pas aux entreprises colonisatrices, car cela pourrait être le cas ? », a-t-elle demandé. La question a été ignorée.
C’est pourtant précisément le risque de l’accord : canaliser les fonds européens vers des projets d’infrastructures et d’énergies renouvelables au Sahara Occidental pour lesquels le Maroc sollicite depuis longtemps le soutien de l’UE, sous couvert de « profiter aux Sahraouis ».
Dans ce nouveau cadre, les fonds européens financeront des projets d’énergie, de dessalement et d’irrigation au Sahara Occidental – des secteurs sous le contrôle strict du gouvernement marocain, voire de la monarchie. Ce que les eurodéputés – y compris ceux qui défendent les droits des agriculteurs européens – n’ont apparemment pas encore saisi, c’est la manière dont ces projets pourraient intensifier la concurrence avec des agriculteurs européens déjà confrontés à la pression du marché. Le Maroc investit actuellement massivement dans le dessalement éolien pour dynamiser son agro-industrie, notamment au Sahara Occidental occupé. Ces derniers mois, deux gigantesques usines de dessalement ont été annoncées au Maroc même, alimentées par des centrales d'énergie renouvelable au Sahara Occidental occupé. Un projet similaire est sur le point d'être opérationnel à Dakhla, au Sahara Occidental occupé, qui permettra de multiplier par six la surface de terres agricoles destinées à l'exportation vers l'UE.
La CJUE a annulé l'accord précédent en octobre 2024, réaffirmant que le Sahara Occidental est « séparé et distinct » du Maroc et que le consentement libre et véritable du peuple sahraoui est indispensable. La Cour n'a autorisé qu'un « consentement présumé » limité lorsqu'un accord n'impose aucune obligation et procure au peuple sahraoui – et pas seulement de la population vivant dans la partie du territoire occupée par le Maroc -, un « avantage spécifique, tangible, substantiel et vérifiable » proportionnel au degré d'exploitation du territoire. Une chronologie des affaires portées devant les tribunaux de l'UE au cours de la dernière décennie est disponible ici.
« Loin de répondre aux objections de la Cour, la proposition de la Commission semble ignorer les fondements mêmes du raisonnement de la CJUE », déclare Sara Eyckmans de Western Sahara Resource Watch. « En traitant le Sahara Occidental comme une extension du Maroc et en adoptant les divisions administratives marocaines, elle méconnaît la conclusion pourtant claire de la Cour selon laquelle le territoire est séparé et distinct du Maroc. Le consentement présumé ne saurait non plus excuser le mépris total du droit du peuple sahraoui à l'autodétermination, ni justifier son exclusion des décisions qui concernent directement ses terres et ses ressources. Ce faisant, la Commission non seulement répète les erreurs juridiques condamnées dans des arrêts successifs, mais porte également atteinte à la crédibilité de l'UE en tant que défenseur du droit international. »
Une transcription intégrale, réalisée par WSRW, de l'échange de vues avec la Commission européenne sur le nouvel accord commercial UE-Maroc couvrant les importations en provenance du Sahara Occidental, au sein de la commission INTA du 6 octobre 2025, est disponible ici (en Anglais).
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