WSRW propose ici un résumé les principales conclusions des arrêts historiques rendus le 4 octobre 2024 sur le Sahara Occidental par la Cour de justice de l'UE.
Un processus juridique de 12 ans arrive à son terme. La Cour de justice de l'UE a jugé que les accords de commerce et de pêche UE-Maroc ne peuvent être appliqués au Sahara Occidental et à ses ressources naturelles.
Comment la Cour est-elle arrivée à cette conclusion ? Et quelles sont les principales conclusions de la Cour ? Western Sahara Resource Watch (WSRW) vous propose uner analyse de ces arrêts.
A. Quel était le sujet ?
Le 4 octobre 2024, la Cour de justice de l'Union européenne a rendu trois arrêts :
Dans les deux premiers arrêts, la plus haute cour de l’UE annule les accords de commerce et de pêche UE-Maroc au Sahara Occidental, pour violation des principes d’autodétermination et de l’effet relatif des traités. Retrouvez ici le communiqué de presse de la Cour concernant les accords de pêche et de commerce. Le texte de l’arrêt sur l’accord commercial est disponible ici. L’arrêt sur l’accord de pêche est accessible ici.
Dans l’affaire portée par le syndicat des agriculteurs français, la Cour a statué que les produits récoltés au Sahara Occidental doivent être étiquetés comme originaires de ce territoire. Vous trouverez plus de détails dans un communiqué de presse de la Cour sur l’arrêt, ou dans l’arrêt lui-même.
Une chronologie historique de la procédure judiciaire qui a duré 12 ans est disponible sur notre site Web.
B. Quelles sont les principales conclusions ?
1. La Cour a fermement établi la position du Front Polisario quant à sa capacité à porter plainte au nom du peuple sahraoui et à avoir accès à la Cour pour défendre son droit à l’autodétermination.
Au §90 (commerce) et §116 (pêche), la Cour conclut que « le Front Polisario peut contester devant le juge de l’Union la légalité d’un acte de l’Union qui produit directement des effets sur la situation juridique du peuple du Sahara occidental en sa qualité de titulaire du droit à l’autodétermination lorsque ledit acte concerne individuellement ce peuple ou, s’agissant d’un acte réglementaire, ne comporte pas de mesures d’exécution.»
La Cour reconnaît au Front Polisario la capacité d’ester en justice devant les juridictions de l’Union européenne (§70 (commerce), §96 (pêche)) et d’agir au nom du peuple du Sahara Occidental, en étant l’un des interlocuteurs légitimes dans le processus onusien mené pour déterminer l’avenir du territoire (§69 (commerce), §95 (pêche)) et en participant à divers forums internationaux et en entretenant des relations bilatérales au niveau international (§70 (commerce), §96 (pêche)).
Il s’agit là d’une conclusion importante : désormais il n’y a plus de débat sur la possibilité ou non du Front Polisario de porter plainte devant les juridictions de l’Union européenne. Cette question est réglée.
Le §109 de l’arrêt sur le commerce (ou le §138 de l’arrêt sur l’accord de pêche) est sans ambiguïté : le Front Polisario « représente le peuple du Sahara occidental en tant que titulaire du droit à l’autodétermination par rapport à ce territoire».
2. La Cour confirme le statut séparé et distinct du Sahara Occidental
Depuis l’arrêt de 2016 de la Cour européenne de justice annulant l’accord commercial UE-Maroc au Sahara Occidental, les tribunaux ont souligné le statut « séparé et distinct » du Sahara Occidental par rapport à tout État y compris le Maroc, les tribunaux de l’UE n’ont cessé de confirmer ce statut spécifique. Cela signifie que lors de la signature d’un accord avec le Maroc, les mots « territoire du royaume du Maroc » ne peuvent pas être interprétés comme incluant le Sahara Occidental dans le champ d’application territorial de cet accord.
Il en va de même dans les deux derniers arrêts annulant l’accord commercial UE-Maroc et l’accord de pêche au Sahara Occidental. Le statut « séparé et distinct » est mentionné au §134 (commerce) et au §163 (pêche), presque anecdotiquement, car il s’agit d’une question réglée.
L’arrêt de la Confédération Paysanne souligne le statut séparé et distinct du Sahara Occidental (c’est-à-dire ne faisant pas partie du Maroc), lorsqu’il conclut que les produits en provenance du Sahara Occidental doivent uniquement indiquer le Sahara Occidental comme pays d’origine. Dans son arrêt dans l’affaire portée par le syndicat des agriculteurs français, la Cour précise en outre que le Sahara Occidental est un « territoire douanier » aux fins du code des douanes de l’Union (§87) car la législation douanière de l’Union « établit des codes et des textes distincts pour le Sahara Occidental et le Royaume du Maroc » (§87), à savoir « MA » pour le Maroc et « EH » pour le Sahara Occidental, conformément à l’annexe I du règlement d’exécution (UE) 2020/1470 de la Commission du 12 octobre 2020.
3. La Cour affirme sans ambiguïté que la « population du Sahara Occidental » et le « peuple du Sahara Occidental » ne sont pas la même chose
La Cour a établi aux §128 (commerce) et §157 (pêche) que « la majeure partie de la population actuelle du Sahara occidental ne fait pas partie du peuple titulaire du droit à l’autodétermination, à savoir le peuple du Sahara occidental. Or, ce dernier, en grande partie déplacé, est seul titulaire du droit à l’autodétermination par rapport au territoire du Sahara occidental. En effet, le droit à l’autodétermination appartient au peuple concerné, et non pas à la population de ce territoire en général, dont, selon les estimations fournies lors de l’audience devant la Cour par la Commission, seuls 25 % seraient d’origine sahraouie.»
Ainsi, « il existe à cet égard une différence entre la notion de « population » d’un territoire non autonome et celle de « peuple » de ce territoire. Cette dernière renvoie en effet à une unité politique, titulaire du droit à l’autodétermination, alors que la notion de « population » vise les habitants d’un territoire.» (§129 (commerce), ou §158 (pêche))
4. Le processus de consultation mené par le Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE) et la Commission ne peut être équivalent à l’obtention du consentement du peuple du territoire non autonome du Sahara Occidental.
En 2018-2019, la Commission européenne a déployé de grands efforts pour tenter de contourner les décisions de 2016, défaite de l’UE devant les tribunaux. La CJUE avait alors explicitement déclaré qu’aucun accord ne pouvait couvrir le Sahara Occidental sans l’obtention préalable du consentement réel du peuple du territoire. Cependant, la Commission européenne avait décidé, de manière très discutable, d’entreprendre une « consultation » des groupes de colons marocains pour contourner les conditions préalables fixées par la Cour. La tromperie de la Commission envers les institutions de l’UE a été évoquée dans le rapport WSRW « Au-dessus des lois » en 2020. Mais une « population » n’est pas la même chose qu’un « peuple ». Et « consultation » n’est pas égale à « consentement ». Cela n’a jamais été énoncé plus clairement qu’aujourd’hui.
Après avoir formulé avec éloquence la différence entre la « population » et le « peuple » du Sahara Occidental, la Cour en déduit ensuite aux § 130 (commerce) et § 159 (pêche) que « la Commission et le SEAE ont conduit des consultations avec les « populations concernées », qui [...] incluent pour l’essentiel les populations qui se trouvent actuellement sur le territoire du Sahara occidental, indépendamment de leur appartenance ou non au peuple de ce territoire. Ainsi que l’a jugé à bon droit le Tribunal, en substance, au point 373 de l’arrêt attaqué, ces consultations ne sauraient donc équivaloir à l’obtention du consentement du « peuple » du territoire non autonome du Sahara occidental. »
Les institutions de l’Union ont non seulement commis une erreur en assimilant la « population » au « peuple », mais elles ont également considéré à tort qu’un exercice de consultation équivalait au droit de consentement.
La Cour souligne la nécessité d’obtenir le « consentement », en rappelant le principe de l’effet relatif des traités, c’est-à-dire que les traités ne peuvent imposer d’obligations ni conférer de droits à des tiers. Se référant à son arrêt de 2016, concluant que le peuple du Sahara Occidental est un tiers-partie aux accords de l’UE avec le Maroc, la Cour a souligné que la mise en œuvre d’un tel accord « doit recevoir le consentement du peuple du Sahara occidental » (§132 (commerce), §161 (pêche)).
La Cour estime que le Conseil de l’UE « n’était pas libre de décider s’il pouvait être fait
l’économie dudit consentement, sauf à violer l’exigence selon laquelle le peuple de ce territoire devait consentir à un tel accord. » (§135 commerce, §164 pêche).
Enfin, aux §140 (commerce) et §169 (pêche), la Cour conclut que le Conseil de l’UE « s’était mépris» en « considérant que les consultations [...] avaient permis de se conformer au principe de l’effet relatif des traités » « considérant que le processus de consultation [...] permettait de respecter le principe de l’effet relatif des traités », tant sur « la portée de ces consultations que sur celle de l’exigence énoncée » dans l’arrêt de la Cour de 2016.
5. Le consentement peut être exprès, mais peut aussi être présumé dans des conditions très strictes, visant à préserver le droit à l’autodétermination et à l’indépendance
Les arrêts rendus en appel diffèrent légèrement de l’arrêt rendu par le Tribunal en 2021, dans la mesure où la Cour de justice de l’Union Européenne ne reconnaît pas que l’expression du consentement du peuple du Sahara Occidental à l’accord en cause doive être explicite. La Cour se réfère au droit international coutumier, qui ne prévoit pas que le consentement d’un tiers doit être exprimé sous une forme particulière.
Si le consentement explicite reste ainsi une option, la Cour reconnaît que dans le cas particulier d’un peuple non autonome, le consentement peut également être présumé, « pour autant que deux conditions soient satisfaites » (§152 commerce, §180 pêche).
Ces conditions sont résumées au §153 (commerce) et au §181 (pêche) :
Ce que cela signifie : l’accord ne doit pas imposer au peuple du Sahara Occidental des responsabilités qu’il doit remplir comme l’exige l’accord. L’accord ne doit pas, par exemple, exiger du peuple du Sahara Occidental qu’il entreprenne des tâches nécessaires à la mise en œuvre de l’accord.
En d’autres termes, la Cour limite le rôle du Maroc à des fonctions purement administratives, dénuées de toute sorte de souveraineté. La Cour n’applique pas spécifiquement le terme « occupation » dans sa décision, mais ce qu’elle dit ici est conforme au droit de l’occupation.
Ce que cela signifie : la part du lion des avantages obtenus grâce à l’accord est destinée au peuple, et non à la population, du Sahara Occidental, et ces avantages doivent correspondre à un ensemble de critères.
Ainsi, si l’accord ne crée pas d’obligations, mais plutôt des avantages, strictement conditionnés à la préservation de l’autodétermination, pour le peuple – et non la population – du Sahara Occidental, le consentement pourrait être présumé.
La Cour soutient que tant pour l’accord commercial que pour l’accord de pêche, le consentement ne pouvait être présumé.
En ce qui concerne l’accord de pêche, la Cour reconnaît que « cet accord prévoit l’exigence d’une « répartition géographique et sociale équitable » des avantages socioéconomiques découlant de la contrepartie financière versée par l’Union au Royaume du Maroc. » (§190).
« Toutefois, […] les stipulations de l’accord litigieux n’indiquent pas en quoi le principe de répartition géographique et sociale équitable de la contrepartie financière est mis en oeuvre de manière différenciée sur le territoire du Sahara occidental et sur le territoire du Royaume du Maroc. En tout état de cause, ledit accord ne prévoit l’octroi d’aucune contrepartie financière au bénéfice, spécifiquement, du peuple du Sahara occidental. » (§191). « Il s’ensuit que le peuple du Sahara occidental ne saurait être présumé avoir donné son consentement à l’application de l’accord litigieux sur les eaux adjacentes à ce territoire. » (§192).
La Cour a ajouté aux §156 (commerce) et 184 (pêche) que cette présomption de consentement peut néanmoins être renversée pour autant que des représentants légitimes dudit peuple établissent que le régime d’avantage ne satisfait pas les conditions exposées au point 153 (commerce) ou au point 181 (pêche). Cela réaffirme le droit du Polisario à intenter des actions en justice.
Ce paragraphe stipule également qu’il appartient, le cas échéant, au juge de l’Union de déterminer si ledit accord préserve adéquatement le droit à l’autodétermination du peuple concerné ou la souveraineté permanente sur les ressources naturelles.
Par conséquent, dans le cas de nouveaux accords fondés sur le consentement présumé du peuple sahraoui, le contrôle juridictionnel des tribunaux de l’UE s’appliquera avec toute sa force. Au contraire, la Cour évaluera très soigneusement et minutieusement si l’accord proposé correspond aux critères restrictifs énoncés dans les arrêts de 2024.
C. Quand prend-il effet ?
Arrêt sur l’accord commercial.
Arrêt sur l’accord de pêche. Le protocole a expiré le 17 juillet 2024. Par conséquent, les pêcheries de l’UE ont déjà pris fin.
Arrêt sur l’étiquetage. Cet arrêt a pris effet immédiatement.
D. Quelles sont les implications ?
Il est vraiment trop tôt pour être précis à ce stade. Pourtant, voici quelques premières réflexions.
1. Implications pour l’UE et ses États membres
Tout d’abord, l’UE doit immédiatement commencer à s’adapter techniquement à ne plus traiter le Sahara Occidental comme une partie du Maroc dans ses relations commerciales avec le Maroc.
Le point 6 ci-dessus laisse-t-il la porte ouverte à l’UE pour conclure un nouvel accord commercial avec le Maroc qui peut être étendu au Sahara Occidental ? En théorie, oui. En pratique, les conditions fixées par la Cour rendront l’entreprise presque impossible. Il est très peu probable que le gouvernement marocain soit disposé à coopérer avec l’UE pour s’assurer que les Sahraouis – et non les colons marocains – soient les seuls bénéficiaires des accords commerciaux au Sahara Occidental.
Conformément à l’article 36 (1) de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, sur lequel la Cour s’appuie, « un droit naît pour un Etat tiers d’une disposition d’un traité si les parties à ce traité entendent, par cette disposition, conférer ce droit [...] à l’Etat tiers ».
Par conséquent, au-delà du régime très strict établi par la Cour, le consentement présumé exigerait que l’UE et le Maroc aient « l’intention » d’accorder des droits au peuple sahraoui. Compte tenu de la position officielle des autorités marocaines, il semble peu probable qu’elles acceptent d’accorder des droits au peuple sahraoui, sou couvert de cet accord avec l’UE, car le Maroc nie depuis des décennies le droit des Sahraouis à l’autodétermination et leur existence même en tant que « peuple » – et pas simplement en tant que « populations concernées ».
Il convient de noter les scénarios intéressants dépeints par le groupe de réflexion European Council on Foreign Relations (ECFR) – selon lesquels, en incluant le Polisario dans ces négociations sur les ressources, l’UE pourrait contribuer à faire avancer le conflit vers une résolution.
Il convient également de noter que les avocats du Polisario ont suggéré après le jugement de 2021, que les Sahraouis pourraient demander des dommages et intérêts pour l’application illégale des accords commerciaux UE-Maroc sur le territoire sahraoui. L’UE doit tenir compte de ce scénario réel. Comme l’a montré la Commission elle-même, le montant des produits pillés s’élève à des millions d’euros par an.
2. Implications pour les entreprises privées
Le Maroc s’associe à un grand nombre d’entreprises privées sur le territoire occupé, au mépris des principes énoncés dans les arrêts. Trois éléments méritent d’être soulignés.
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Le Parlement européen s'est prononcé en faveur de la tenue de débats dans trois commissions parlementaires sur l'exclusion du Sahara Occidental des accords commerciaux UE-Maroc.
Dans son arrêt de ce matin, le 4 octobre 2024, la Cour de justice de l’Union Européenne a statué que les produits du Sahara Occidental présents sur le marché de l’UE ne peuvent être étiquetés « Maroc ».
« C'est une victoire majeure pour le peuple du Sahara Occidental. À l'heure où le droit international est sous pression, il est fondamental que l'UE suive sa propre cour et cesse de collaborer avec l'occupant par le biais d'accords commerciaux illégaux », a déclaré Western Sahara Resource Watch. Ce matin, la Cour de justice de l'UE a rendu une décision historique.
Quelle est la position de l'UE sur l'étiquetage des produits du Sahara Occidental occupé ? La Commission européenne a publié pour la troisième fois une réponse à une question parlementaire sur le sujet, mais la dernière version ne répond pas à la question.