L'Avocat général à la Cour de justice de l'UE a émis un long avis de 70 pages sur l'affaire judiciaire Polisario-UE. WSRW a demandé à l'avocat du Front Polisario devant les juridictions de l'Union européenne de clarifier certains aspects du texte.
Mardi 13 septembre, l'Avocat général Wathelet a présenté ses conclusions sur l'affaire UE-Polisario sur le Sahara occidental à la Cour de justice de l'Union européenne. C’est un assez long document (70 p.) qui peut être difficile à saisir pour des non-juristes. Par conséquent, nous avons demandé à Gilles Devers, l'avocat du Front Polisario, de clarifier quelques points pour nous.WSRW : Dans son avis, l'Avocat Général Wathelet (AG par la suite) énonce que ni l'
accord d’association UE-Maroc ni l'
accord sur la libéralisation des échanges des produits de l'agriculture et de la pêche UE-Maroc (ou « l'accord 2012 » comme beaucoup l'appellent) ne sont applicables au Sahara occidental, parce que le Sahara occidental demeure un territoire non autonome, en dépit de son annexion par le Royaume du Maroc. Est-ce correct ?
Gilles Devers : Absolument. Sur cette question, l'avis est limpide. Malgré la politique d’annexion du Maroc, le Sahara occidental ne fait pas partie du territoire marocain. Se référant à l'argumentation même du Conseil et de la Commission lors de la procédure, l'AG souligne que « l’Union et ses États membres n’ont jamais reconnu que le Sahara occidental faisait partie du territoire du Royaume du Maroc ou relevait de sa souveraineté » (paragraphe 83). Comme le Sahara occidental demeure un territoire non autonome, les accords UE-Maroc ne lui sont pas applicables : le Sahara occidental « constitue un tiers (tertius) par rapport à l’Union et au Royaume du Maroc » (paragraphe 105). Le consensus se renforce : le Royaume du Maroc n'a aucune souveraineté sur le Sahara occidental.
WSRW : Pourriez-vous être plus précis ?
M. Devers : Depuis l'adhésion du Royaume d'Espagne à la Communauté économique européenne, les dirigeants sahraouis se sont toujours opposés à l'inclusion du Sahara occidental dans les accords européens avec le Royaume du Maroc. Après
une période de déni, le Conseil et de la Commission de l'UE ont finalement admis que les accords de l'UE avec le Maroc avaient
été en effet appliqués au Sahara occidental. Pour justifier cette application, ils ont créé la notion de «
puissance administrative de facto » ... une notion qui ne correspond à aucune catégorie juridique connue en droit international. Ils ont inventé ce non-sens juridique pour justifier l'injustifiable.
L'avis de l’AG est donc pleinement conforme au droit international. Aujourd'hui, il est très clair que le Front Polisario avait raison depuis le début. Malgré les manœuvres du Conseil et de la Commission, les constatations faites par la Cour internationale de Justice
dans l’avis consultatif rendu il y a quarante ans font plus autorité que jamais : le Maroc n'a aucune souveraineté sur le Sahara occidental. Par conséquent, aucun des accords avec l'Union Européenne ne sont applicables sur le territoire. En privant le Maroc des avantages économiques générés par son occupation illégale du Sahara occidental, l'avis de l'avocat général ouvre la voie vers l'autodétermination.
WSRW : Mais le Conseil et la Commission ne peuvent il continuer à argumenter que le Maroc est « la puissance administrative de facto » du Sahara occidental ?
M. Devers : D'abord, je dois dire que la manipulation de l'avis de Hans Corell par le Conseil et la Commission est une honte. Hans Corell, qui est un juriste respecté, n’aurait jamais pu écrire que le Maroc est la « puissance administrante de facto » du Sahara occidental. Il a d’ailleurs
protesté très explicitement contre la mauvaise interprétation du Conseil et de la Commission.
Assurément, Hans Corell aurait dû clairement dire que le Maroc occupe le Sahara occidental, au sens du droit international humanitaire, et en tant que tel, il n'a aucun droit sur les ressources naturelles sahraouies. Mais, à sa décharge, il faut reconnaître qu’en 2002 le statut des territoires occupés tels que le Sahara occidental était moins clair qu'aujourd'hui. Il y avait beaucoup de débats parmi spécialistes de droit international sur le droit applicable à ces territoires. Depuis l'avis consultatif de la Cour internationale de Justice en 2004 sur la
Palestine, il ne peut plus y avoir de doute : le droit international humanitaire est applicable à l'occupation belligérante du Sahara occidental. Ceci est confirmé par
l'adhésion du Front Polisario aux Conventions de Genève en juin 2015. De même, dans son avis juridique,
l'Union africaine considère que le Sahara occidental est un territoire occupé.
Il est intéressant de relever que si, pendant leurs plaidoiries, le Conseil et la Commission se sont lourdement appuyés sur leur théorie « de facto », ils n’ont clairement pas convaincu l'AG. Au contraire, l’AG Wathelet estime que « le Conseil n’explique nullement comment il serait juridiquement possible d’appliquer sur un territoire déterminé un accord conclu avec un pays sans reconnaître une quelconque compétence ou autorité juridique de ce pays sur ce territoire » (paragraphe 84). Ceci marque la fin de l’excuse de l'UE de la « puissance administrative de facto ». A partir de maintenant, les institutions européennes devront se confronter à la réalité, à savoir que, n’ayant aucun droit de souveraineté sur le territoire sahraoui et aucun mandat international pour l'administrer, le Maroc occupe le Sahara occidental au sens du droit international humanitaire.
WSRW : Mais si l'avis est si favorable au Sahara occidental, comment se fait il que l'AG estime que le Front Polisario devrait être déclaré irrecevable ?
M. Devers : Sur la question de la recevabilité, si je peux me permettre de reformuler votre question, il faut distinguer entre deux points. Tout d'abord, le Front Polisario est il une personne morale en mesure d’ester en justice devant la Cour de Justice de l’Union européenne ? Deuxièmement, le Front Polisario, en tant que représentant du peuple sahraoui, est il concerné par la décision du Conseil de conclure un accord international avec le Royaume du Maroc ?
Sur le premier point, l'AG répond par l’affirmative. Encore une fois, il est très clair : « le Front Polisario a la capacité d’ester en justice devant les juridictions de l’Union » (paragraphe 143).
Il va même plus loin que le Tribunal, et considère que le Front Polisario est un mouvement de libération nationale doté de la personnalité juridique internationale : la « reconnaissance [du Front Polisario] en tant que mouvement national de libération par plusieurs États, de représentant du peuple du Sahara occidental par l’Assemblée générale de l’ONU, son adhésion comme membre à l’organisation internationale « Union africaine », la conclusion d’accords avec la République islamique de Mauritanie et le Royaume du Maroc et l’engagement de celui-ci à respecter les conventions de Genève du 12 août 1949 pour la protection des victimes de la guerre, pris conformément à l’article 96, paragraphe 3, du protocole additionnel relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux du 8 juin 1977, militent plutôt en faveur de la reconnaissance de la personnalité juridique que le droit international reconnaît aux mouvements nationaux de libération. » (Paragraphe 146). Seul représentant du peuple sahraoui, le Front Polisario est un mouvement de libération nationale.
Espérons que les journalistes, après avoir lu l'avis de l'AG, vont cesser de comparer le Front Polisario à un groupe séparatiste revendiquant l’indépendance du Sahara occidental par rapport au Maroc ... En fait, du point de vue du droit international, le Sahara occidental a toujours été un territoire distinct et indépendant du Maroc. En outre, en droit international, le Front Polisario est un mouvement de libération nationale, tout autant que l'Organisation Libération de la Palestine, le FLN algérien, ou le Congrès national africain de Nelson Mandela, et son but est de défendre le droit à l'autodétermination du peuple sahraoui.
WSRW : Et le deuxième point ?
M. Devers: Pour décider sur ce deuxième aspect, l'AG estime qu'il est d'abord nécessaire de déterminer si les accords UE-Maroc sont applicables au Sahara occidental. Ici, nous revenons à la principale conclusion de l'avis. Puisque le Maroc n'a aucune souveraineté sur le Sahara occidental, ses accords avec l'UE ne lui sont pas applicables.
Puisque les accords UE-Maroc ne sont pas applicables au Sahara occidental, ils ne sont pas appliqués au territoire sahraoui. Par conséquent, le Front Polisario ne peut pas être concerné par les accords UE-Maroc qui sont applicables uniquement au territoire marocain, tout comme la France ne serait pas concernée par un traité purement bilatéral conclu entre l'Espagne et l'Allemagne.
WSRW : Mais est-ce pas inexact ? Nous savons pertinemment que tous les accords conclus entre l'Union Européenne et le Maroc ont été appliqués au Sahara occidental. Pas plus tard que le 16 septembre, un navire transportant des tonnes d'huile de poisson du Sahara occidental est arrivé en France (voir
ici et
ici, ndlr) et a probablement
bénéficié d'un traitement préférentiel, conformément à l'accord commercial UE-Maroc.
M. Devers : Je suis d'accord. Cette partie de l'avis peut être difficile à comprendre ... Au cours de la procédure, le Conseil et la Commission ont reconnu que l'accord d'association et que l'accord 2012 étaient appliqués au Sahara occidental. Ils ont admis que les produits originaires du Sahara occidental bénéficient effectivement du traitement préférentiel prévu par l'accord d'association UE-Maroc.
Même si
la Commission a corrigé son site Web après l’audience, il est également établi que l'Office alimentaire et vétérinaire de la Commission a inspecté les installations des producteurs marocains situés au Sahara occidental en
2001, 2005 et 2012. L’objet de ces visites était de s’assurer que ces producteurs marocains respectent les règles sanitaires de l'UE et donc que leurs produits peuvent être exportés vers le marché européen dans le cadre de l'accord d'association.
Mais les principaux éléments sont les listes des exportateurs agréés. Selon le droit de l’Union européenne, un exportateur agréé est un exportateur qui, sous certaines conditions, est autorisé à délivrer des certificats d'origine. Un certificat d'origine est nécessaire pour s’assurer que les marchandises d’une cargaison en particulier ont bien droit à un traitement préférentiel. Pour que les autorités douanières des Etats membres de l'UE puissent vérifier que les marchandises ont droit à un traitement préférentiel en vertu d'un accord d'association donné, la Commission européenne publie des listes d'exportateurs agréés. En ce qui concerne l'accord commercial UE conclu avec le Maroc, 140 exportateurs marocains agréés au titre de l'accord d'association sont implantés au Sahara occidental ... Et sur ces listes, le Sahara occidental est désigné conformément au droit interne marocain ... (Voir
ici,
ici et
ici, ndlr).
Dans ce contexte, il est plutôt artificiel de maintenir que les accords UE-Maroc ne sont pas applicables aux ressources naturelles sahraouies parce qu'ils ne peuvent pas, en droit, être applicables au Sahara occidental.
En réalité, les activités économiques au Sahara occidental sous l'égide de l'accord d'association et l'accord 2012 ont eu lieu sur une base quotidienne ... La Confédération marocaine de l'agriculture et du développement rural (COMADER), qui représente les agriculteurs marocains,
l’a confirmé. Au cours des audiences devant la Cour de justice, elle a même revendiqué que ses membres situés au Sahara occidental ont exporté dans le cadre de l'accord d'association et de l'accord de 2012.
Aux yeux du Front Polisario, l'AG sous-estime totalement l’implication de l'UE au Sahara occidental. En pratique, la Commission européenne traite le Sahara occidental et le Maroc de la même manière et coopère avec la même administration marocaine des deux côtés de la frontière. L’aval quotidien de l'UE donné à la politique d'annexion du Maroc est un élément clé car il encourage
le Maroc à prétendre que l'Union Européenne soutient ses revendications territoriales sur le Sahara occidental.
Nous verrons si la Cour est convaincue par l'analyse de l'AG sur ce point.
WSRW : Plus loin dans son avis, l'AG estime que le Royaume d'Espagne est toujours la puissance administrante du Sahara occidental, en dépit de sa décision en 1975 de mettre unilatéralement fin à son mandat. C’est une prise de position très forte. Mais il en déduit que le Front Polisario ne serait pas le seul représentant du peuple sahraoui sur le plan international. Quel est votre avis ?
M. Devers : Sur la première partie du raisonnement, l'AG a évidemment raison. Les
principes des Nations unies sont très clairs. Une puissance administrante doit continuer à exécuter ses obligations tant que l'Assemblée générale de l'ONU n’a pas adopté une résolution décidant que le territoire non autonome dont elle a la responsabilité s’administre complètement lui-même.
En ce qui concerne le Royaume d'Espagne, en plus de l'avis de Hans Corell et l'avis récent de l'Union africaine, le juge Castro, qui était le juge espagnol au cours de l'avis consultatif sur le Sahara occidental, a clairement
indiqué que : « Du moment qu'il est établi que le statut du Sahara occidental est celui d'un territoire non autonome, l'Espagne ne saurait ni reconnaître le droit d'un autre Etat de revendiquer le territoire, ni admettre l'existence des titres de souveraineté d'un Etat quelconque, ni admettre un arbitrage sur la souveraineté, ni convenir d'un partage du territoire, ni décider de son exploitation en commun, ni s'adjuger à elle-même la souveraineté. L'Espagne ne pouvait être partie à un différend où il s'agissait de trancher, de manière médiate ou immédiate, une question concernant la souveraineté sur le territoire administré ».
Par conséquent, le Royaume d'Espagne est toujours la puissance administrante du Sahara occidental.
WSRW : Quid alors de l’affirmation selon laquelle le Front Polisario ne serait pas le seul exclusif du Sahara occidental au niveau international en raison des responsabilités de l’Espagne à l’égard du territoire sahraoui ?
M. Devers : Sur la deuxième partie du raisonnement, je dois dire que les implications de la qualité de puissance administrante de l'Espagne à l’égard du Sahara occidental n’ont pas vraiment été discutées pendant la procédure. Comme vous pouvez l'imaginer, l'Espagne (qui intervenait pour soutenir le Conseil et la Commission, ndlr) n'a pas soutenu devant la Cour qu’elle demeurait la puissance administrante du Sahara occidental ... Cela explique peut-être pourquoi le raisonnement de l'AG sur ce point est moins convaincant.
A l’inverse, la qualité de puissance administrante de l'Espagne à l’égard du Sahara occidental ne fait aucunement obstacle à ce que le Front Polisario défende les intérêts du peuple sahraoui devant la Cour de justice de l’Union européenne.
D’une part, l'Espagne et le Polisario ont des mandats différents qui ne se chevauchent pas. En tant que puissance administrante du Sahara occidental, l'Espagne représente un territoire non-autonome, alors que le Front Polisario représente le peuple souverain qui vit sur ce territoire.
D’autre part, le AG paraît ne pas tenir compte du contexte actuel de l'affaire. Même si elle est toujours la puissance administrante du Sahara occidental, l'Espagne a manqué à toutes ses obligations depuis 1976. Par conséquent, comment les Sahraouis pourraient-ils compter sur une puissance administrante qui a constamment failli pendant quarante ans ? Comment l'Espagne pourrait elle être à même de défendre les intérêts du Sahara occidental alors qu’elle intervient dans des procédures pour soutenir la position du Conseil, position dont la résultante est la spoliation des ressources naturelles sahraouies ?
De plus, le rôle clé du Front Polisario est confirmé par le droit applicable à l'exploitation des ressources naturelles des territoires non autonomes.
Selon
l'avis de Hans Corell,
mis à jour par l'Union Africaine, la puissance administrante doit obtenir le consentement du représentant du peuple du territoire non autonome dans l'exploitation de ses ressources naturelles. Cette exigence est la conséquence d'un principe bien établi en droit international, le principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles. En tant qu’
« élément fondamental » du droit à l'autodétermination, ce principe prévoit que les peuples non autonomes sont les propriétaires exclusifs de leurs ressources naturelles.
Dans le cas du Sahara occidental, l’obligation de l'Espagne, en tant que puissance administrante du Sahara occidental, de consulter le Front Polisario n’est que la conséquence logique de la mission de ce dernier en vertu du droit international. Cette consultation par la puissance administrante est nécessaire parce que le Front Polisario représente le peuple sahraoui dans tous les aspects de son droit à l'autodétermination, en ce compris son droit à la souveraineté permanente sur les ressources naturelles.
En vertu du droit international, en tant que seul représentant du peuple sahraoui, le Front Polisario doit avoir le dernier mot sur l'exploitation des ressources naturelles sahraouies.
Bien sûr, cela implique le droit du Polisario d’ester en justice devant les juridictions de l’Union européenne pour assurer le respect de ces droits.
WSRW : Mais l'AG semble considérer que le Polisario ne pourrait représenter le peuple sahraoui que dans le processus politique menant à l'autodétermination du Sahara occidental et non dans ses intérêts commerciaux ?
M. Devers : Encore une fois, il faut reconnaître que cette distinction entre l'autodétermination et l'intérêt commercial est un peu déroutante. La politique est tellement entremêlée à l'économie. Qui peut tracer la limite ?
Dans le cas des peuples non autonomes, le principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles englobe clairement l'exploitation commerciale de leurs ressources naturelles.
En effet, il faut garder à l'esprit que le principe de la souveraineté permanente est apparu pendant la période de la décolonisation, et a été développé pour protéger les peuples non autonomes contre l'avidité des puissances coloniales qui tiraient profit de l'exploitation des ressources naturelles des peuples colonisés.
Par conséquent, il est clair que, dès lors que le droit à l'autodétermination englobe le principe de la souveraineté permanente, la reconnaissance du Front Polisario, en tant que seul représentant du peuple du Sahara occidental à des fins d'auto-détermination, l’autorise également à défendre les intérêts commerciaux du peuple sahraoui.
WSRW : Mais les accords d'association et de 2012 ne concernent que l'exportation, et non l'exploitation des ressources naturelles. Est-ce que cela fait une différence ?
M. Devers : C’est une question très intéressante ... Au cours de la procédure, le Conseil a tenté de faire valoir cet argument. Mais exporter les ressources naturelles implique d'abord de les exploiter. Sans cette exploitation, il n'y aurait rien à exporter.
Dans le cas particulier du Sahara occidental, le lien entre l'exploitation et l'exportation est très fort puisque
95% de la production est exclusivement consacrée à l'exportation. En fait, on peut dire que les ressources naturelles sahraouies sont exploitées pour être exportés vers les marchés étrangers.
WSRW : Existe-t-il d'autres exemples de mouvements nationaux de libération défendant les intérêts commerciaux des peuples non autonomes ?
M. Devers : Eh bien, je vois au moins deux exemples. Lorsque la France et le Front de Libération Nationale algérien ont négocié
les accords d'Evian, une partie importante des négociations a porté sur l’économie et les intérêts commerciaux du peuple algérien, donnant lieu à une « déclaration de principes sur la coopération économique et financière » générale, et à une « déclaration de principes sur la coopération pour la mise en valeur des richesses du sous-sol du Sahara », spécialement dédiée à l'exploitation des ressources naturelles algériennes.
Les accords d'Oslo signés entre Israël et l'Organisation de Libération de la Palestine sont un autre bon exemple. En effet, l'article 11 de la Déclaration de principes sur les aménagements de l’autonomie provisoire de 1993 (Oslo I) et son annexe III, et l'article 24 de l'accord intérimaire israélo-palestinien sur la Cisjordanie et la bande de Gaza (Oslo II) traitent des questions économiques.
Le 29 avril 1994, le gouvernement de l'Etat d'Israël et «
l’OLP, représentant le peuple palestinien », ont même conclu un Protocole sur les relations économiques, créant une union douanière entre Israël et la Palestine.
Plus tard, l'Organisation de libération de la Palestine a conclu plusieurs
traités de libre-échange, y compris un accord d'association avec
l'Union Européenne, très semblable à celui signé avec le Royaume du Maroc.
Ces exemples montrent que les mouvements nationaux de libération sont capables de défendre les intérêts commerciaux des peuples non autonomes, car il s’agit d’une question inhérente au droit à l'autodétermination.
WSRW : Certains experts (
ici et
ici, ndlr) disent que si la Cour de justice de l'Union européenne adopte l'approche restrictive du AG à l'égard des intérêts commerciaux, le Front Polisario ne sera plus en mesure de contester l'accord de pêche dans
l'autre affaire pendante devant la Cour de justice. Est-ce correct ?
M. Devers : Je ne peux qu’exprimer mon désaccord. Le
Protocole de 2013 à
l'accord de partenariat dans le domaine de la pêche de 2006 n'est pas un traité de libre-échange, mais un accord qui organise l'exploitation des ressources naturelles du Sahara occidental par les pêcheurs de l'UE.
Sur la base de cet accord avec le Maroc, les navires de l'UE pêchent dans les eaux sahraouies et exploitent directement
les ressources halieutiques relevant de la souveraineté permanente du peuple sahraoui. En fait, les deux tiers des navires de l'UE autorisés à pêcher par le présent accord UE-Maroc opèrent exclusivement dans les eaux sahraouies. En avril dernier, la Commission a même pris la décision d'
autoriser davantage de navires de l'UE à aller pécher dans les eaux sahraouies.
En tant que seul représentant du peuple sahraoui pour l’exercice de son droit à l'autodétermination, ce qui inclut son droit à la souveraineté permanente sur les ressources naturelles du Sahara occidental, le Front Polisario est nécessairement concerné par les activités de pêche des navires de l'UE dans les eaux sahraouies.
La décision de la Cour Européenne de Justice devrait permettre de clarifier ce point. Jusqu'à présent, le Front Polisario et le peuple sahraoui ont toutes les raisons de faire confiance à la justice européenne.