Un paquet de tomates cerises vendu la semaine dernière dans un supermarché français illustre la confusion engendrée par la tentative précipitée de la Commission européenne d'adapter les règles de l'UE en matière de consommation et de commerce aux revendications du Maroc sur le Sahara Occidental occupé.
Photographié le 13 novembre 2025 dans un supermarché Lidl de Rhône-Alpes, en France, l'emballage indique l'origine des tomates cerises comme étant « Dakhla-Oued Eddahab » – une région administrative marocaine créée par Rabat sur le territoire du Sahara Occidental occupé après son annexion illégale en 1975.
Or, selon la législation européenne en vigueur, les produits originaires de ce territoire doivent toujours porter la mention « Sahara Occidental ». La Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) a confirmé à plusieurs reprises que le Sahara Occidental est un « territoire distinct » du Maroc et que les accords de l'UE avec le Maroc ne peuvent s'y appliquer sans le consentement du peuple du Sahara Occidental. Cela a également une incidence sur l'indication de l'origine : les produits provenant du territoire ne peuvent être présentés comme marocains, a statué la Cour.
Comment cette erreur d'étiquetage singulière a-t-elle pu se produire ?
Le 4 octobre 2024, la CJUE a de nouveau annulé l'accord commercial UE-Maroc en ce qui concerne le Sahara Occidental, jugeant qu'il violait le droit à l'autodétermination du peuple sahraoui. La Cour a autorisé le maintien provisoire de l'accord pendant un an, jusqu'au 4 octobre 2025, afin de laisser aux institutions de l'UE le temps de mettre leur pratique en conformité avec le droit.
Au lieu de solliciter le consentement du peuple du Sahara Occidental à un accord régissant le commerce avec son territoire occupé, la Commission Européenne a choisi de renégocier le même type d'accord avec le Maroc, et ce, dans une précipitation pour le moins irrégulière : l'amendement aurait été négocié en quatre jours seulement, en septembre 2025.
Alors que dix arrêts de la CJUE ne laissent aucun doute sur le fait que le Sahara Occidental ne fait pas partie du Maroc et que les produits provenant de ce territoire doivent être traités en conséquence, le nouvel accord de l'UE accepte le remplacement de la notion de « pays d'origine » par celle de « région d'origine » pour les marchandises originaires du Sahara Occidental – en particulier, les deux divisions administratives imposées par le Maroc. Territoire : Laâyoune-Sakia El Hamra et Dakhla-Oued Eddahab.
Ces appellations ont été spécifiées par le Conseil d’association UE-Maroc dans sa décision n° 2/2025 du 3 octobre 2025, qui prescrit leur utilisation dans les certificats d’origine et les déclarations d’origine. Les députés européens de la commission du commerce international du Parlement européen ont déjà exprimé leur indignation face à ce qu’ils qualifient de tentative délibérée de contourner le statut juridique de ce territoire.
Cependant, les nouvelles règles d'étiquetage ne sont pas encore en vigueur.
Selon la communication de la Commission aux opérateurs, publiée le 16 octobre 2025, le nouveau système ne s'appliquera qu'à compter de l'entrée en vigueur du règlement délégué proposé, et ce, rétroactivement. D'ici là, les normes de commercialisation de l'UE restent pleinement applicables : l'origine doit donc toujours être indiquée comme « Sahara Occidental ».
Cette même communication précise également aux opérateurs que les stocks déjà étiquetés « Sahara Occidental » peuvent continuer à être vendus jusqu'à épuisement. Toutefois, elle n'interdit pas clairement l'utilisation des appellations régionales marocaines. Cette situation a déjà entraîné la présence d'étiquetages erronés dans les rayons français, illustrant les conséquences concrètes de la décision de la Commission d'adopter une modification politiquement sensible sans clarté juridique et avant la fin du processus réglementaire. Il en résulte une incertitude pour les consommateurs, les commerçants et les autorités, certains opérateurs enfreignant le droit de l'UE sans même s'en rendre compte.
Cette confusion n'est pas un simple dysfonctionnement administratif. Elle découle directement du choix de la Commission de précipiter l'adoption d'une modification politiquement motivée et juridiquement contestable des règles d'étiquetage d'origine de l'UE.
Modifier le droit général de l'UE pour une exception politique
Mais la situation se complique encore. Pour mettre en œuvre sa nouvelle approche d'étiquetage des produits du Sahara Occidental, la Commission cherche à modifier le règlement délégué (UE) 2023/2429, un règlement général qui fixe les normes de commercialisation de tous les fruits et légumes dans l'UE et dans le cadre du commerce avec les pays tiers.
Ce règlement, en vigueur depuis le 1er janvier 2025, visait à simplifier les règles, à renforcer l'information des consommateurs et à réduire le gaspillage alimentaire. Au lieu de protéger ce cadre uniforme, la Commission crée une exception pour le cas très particulier du Sahara Occidental occupé, déformant ainsi un cadre européen pour accommoder les revendications territoriales infondées du Maroc.
Il s’agit d’une mesure extraordinaire : au lieu d’appliquer la nomenclature géographique établie de l’UE, la Commission cherche à insérer les divisions administratives du Maroc, territoire occupé, dans le droit général de l’UE, contredisant une décennie de jurisprudence de la CJUE affirmant que le Sahara Occidental et le Maroc sont des territoires séparés et distincts.
« Si l'UE est désormais disposée à réécrire la législation générale pour servir les intérêts d'une puissance occupante au Sahara Occidental, qu'est-ce qui l'empêche d'en faire autant pour la Crimée ou pour les territoires palestiniens qu'Israël désigne comme Judée-Samarie ? », s'interroge Sara Eyckmans de Western Sahara Resource Watch.
La question est inscrite à l'ordre du jour de la commission de l'agriculture du Parlement européen, qui se réunira le jeudi 20 novembre pour débattre de la proposition d'amendement de la Commission au règlement sur les normes de commercialisation. Les erreurs d'étiquetage constatées en France démontrent que l'approche de la Commission engendre déjà des problèmes pratiques et juridiques avant même l'adoption de la proposition.

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