L'agriculture dans le désert occupé
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La culture de fruits et légumes dans le désert détruit les réserves d'eau non renouvelables et emploie des milliers de colons venus du Maroc voisin.

14 avril 2022

Western Sahara Resource Watch (WSRW) a jusqu'à présent identifié 12 sites agricoles à proximité de la péninsule de Dakhla, à mi-côte du Sahara Occidental occupé. Les tomates et les melons sont les principales cultures de la région, les tomates cerises – d’une production de 80 à 120 tonnes par hectare - représentent la part du lion de la production, destinée à l'exportation. Aujourd'hui, quatre grands agro-opérateurs cultivent les plantations de Dakhla, Rosaflor, Soprofel, Azura et Les Domaines Agricoles. Les propriétaires en sont le roi marocain, de puissants conglomérats marocains ou des sociétés françaises, vendant leurs produits sous des marques comme Azura, Idyl, Etoile du Sud et Les Domaines Agricoles.

À partir de 2021, ils s'avère que certaines de ces mêmes entreprises sont impliquées dans la production de myrtilles en territoire occupé.

Le Maroc a fait de l'industrie agricole du Sahara Occidental un levier pour peupler le territoire de colons marocains. Comme l'a confirmé un membre du Parlement marocain, copropriétaire d'une ferme à Dakhla, des travailleurs sont amenés du Maroc.

L'agriculture dans le désert n'est pas une entreprise durable : elle est incroyablement gourmande en eau. Les réserves d'eau souterraines dans la zone autour de Dakhla, qui devraient être utilisées au profit des personnes qui y vivent, sont en voie d’épuisement du fait de l'agro-industrie - comme l'ont également confirmé les fuites de câbles diplomatiques américains.

Les produits agricoles se trouvent dans les supermarchés de toute l'Europe. Plusieurs chaînes européennes, en Suisse, Suède, Finlande et Norvège, ont des politiques explicites les empêchant d'acheter des produits agricoles du Sahara Occidental. C’est néanmoins un défi pour les importateurs quand les tomates produites à Dakhla sont transportées vers Agadir par voie terrestre, où les unités d'exportation traitent à la fois les tomates cultivées au Maroc, et celles produites à Dakhla.

La compagnie française ENGIE a été mandatée par le gouvernement marocain pour installer une usine de dessalement d’eau destinée à l'industrie. Pour défendre ses opérations, ENGIE évoque une étude controversée entreprise par la société Global Diligence.

Depuis le début du siècle, les plantations de Dakhla sont en plein essor. De 2003 à 2005, environ 150 ha d'infrastructures agricoles étaient en service. En 2010-2012, la superficie était passée à 841 ha. En 2016, environ 963 ha étaient utilisés. Lire la note de recherche de WSRW « L'expansion de l'infrastructure des plantations au Sahara Occidental occupé 2003-2016 ».

Il faut remarquer que la forte augmentation des superficies cultivées a coïncidé avec la négociation entre le Maroc et l'UE d’un élargissement de l'accord commercial UE-Maroc, libéralisant le commerce des fruits et légumes. Le gouvernement marocain et les entreprises franco-marocaines impliquées avaient apparemment anticipé l’adoption de l'accord commercial. Après tout, l’UE est le principal marché pour les produits agricoles cultivés à Dakhla, comme le montre le rapport 2012 de WSRW « Étiquettes et responsabilité ».

L'accord, souvent appelé « accord agricole » UE-Maroc, est entré en vigueur en octobre 2012. Quelques semaines plus tard, en novembre 2012, la représentation politique du peuple sahraoui, le Front Polisario, intentait une action contre le Conseil de l'UE, demandant l'annulation de la décision du Conseil portant conclusion de l'accord agricole avec le Maroc. En décembre 2016, la Cour de justice de l'Union Européenne a jugé que le Sahara Occidental était un territoire « séparé et distinct » du Maroc et donc qu’aucun accord commercial ou d'association avec le Maroc ne pouvait y être appliqué sans le consentement exprès du peuple du territoire : les Sahraouis.

Le jugement a provoqué la colère du gouvernement marocain. Le 6 février 2017, le ministre marocain de l'Agriculture a publié une déclaration avertissant que tout obstacle aux exportations agricoles et halieutiques de son pays vers l'Europe pourrait renouveler les « flux migratoires » que Rabat avait « gérés et entretenus » avec « un effort soutenu ».

La Commission Européenne a répondu par un manque de respect flagrant de l'arrêt de la Cour Européenne et entamé des négociations avec Rabat pour sécuriser les importations marocaines en provenance du Sahara Occidental dans le cadre de l'accord commercial UE-Maroc. Un amendement a été introduit, incluant explicitement le Sahara Occidental dans la portée géographique de l’accord. Il n’a rien été demandé aux Sahraouis. Au lieu de chercher leur consentement, la Commission Européenne a entrepris une consultation des représentants des institutions politiques et entreprises marocaines. Les Sahraouis ont exprimé leur opposition à l'accord via le Front Polisario et via des groupes de la société civile - ce que la Commission européenne a trompeusement présenté comme une consultation des Sahraouis. En 2020, WSRW a rédigé un rapport sur le renouvellement de l'agrément.

L'accord commercial modifié fait lui aussi l'objet de procédures judiciaires devant la Cour de Justice de l'UE.

L’opposition aux importations agricoles de l’UE en provenance du Sahara Occidental ne vient pas seulement du peuple du Sahara Occidental, mais aussi des agriculteurs européens. En particulier, les agriculteurs des pays du sud de l’Europe, comme l’Espagne, se sont inquiétés « de l’augmentation du volume des productions importées du Sahara Occidental comme produits marocains. Cela cause de graves dommages aux producteurs espagnols car ces volumes chevauchent nos calendriers de production et sont destinés aux mêmes marchés. »

L'association des agriculteurs espagnols a noté que les exportations du Sahara Occidental vers l'Europe constitueraient « une concurrence déloyale, étant donné leurs coûts moindres basés sur des réglementations très permissives sur les conditions de travail, la couverture sociale et les salaires des travailleurs, ou l'application de la sécurité phytosanitaire, les réglementations sur la qualité des aliments… De plus, c'est aussi un cas de fraude pour les consommateurs européens, dont les droits ne sont pas respectés car ils n'ont pas d'informations fiables sur l'origine réelle de ces fruits et légumes importés. »

Lorsqu'un accord commercial révisé UE-Maroc pour les produits agricoles a été adopté par la commission agriculture du Parlement Européen en 2018, la Commission a affirmé qu'un tel accord avec le Maroc n'aurait que des aspects négatifs pour les agriculteurs de l'UE. Pourtant, le vote a été positif. En savoir plus sur cet étrange vote ici.

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