A Bruxelles, des discussions secrètes suggèrent que les représentants commerciaux de l'UE et du Maroc cherchent à contourner le droit international concernant le Sahara Occidental.
À moins de trois mois de l'annulation de l'accord commercial UE-Maroc sur les produits agricoles et de la pêche, des négociations en coulisses se déroulent discrètement à Bruxelles. Leur objectif ? Trouver une solution politique aux arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) qui ont déclaré ces accords invalides sans le consentement du peuple du Sahara Occidental.
La majeure partie du territoire du Sahara Occidental est sous occupation du Maroc depuis 1975.
Depuis les arrêts historiques d'octobre 2024, qui ont réaffirmé que le Sahara Occidental est un territoire séparé et distinct du Maroc et l'absence de souveraineté ou de mandat du Maroc sur le territoire, la clarté juridique est en contradiction directe avec les pressions politiques et économiques, notamment de la part des puissants exportateurs agricoles marocains et des importateurs européens. De nouvelles révélations d'Africa Intelligence montrent que les élites économiques marocaines et les responsables européens testent les zones d'ombre juridiques afin de maintenir les flux commerciaux en provenance du territoire occupé, malgré les décisions de la Cour.
Le 11 juin 2025, la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) a présenté un rapport à María Isabel García Catalán, cheffe du département Fiscalité et Union douanière de la Commission européenne, sur les « impacts » de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 4 octobre 2024, selon ce média bien informé.
Plus tôt, la CGEM a rencontré l'eurodéputé finlandais Pekka Toveri, membre du Parti populaire européen (PPE), selon Africa Intelligence. Les discussions ont été menées par Abir Lemseffer, coordinatrice principale des relations entre la CGEM et les institutions européennes et actuellement numéro deux d'Azura, premier producteur de tomates au Maroc, et Sébastien Gubel, avocat et lobbyiste belge salarié de la CGEM.
Le concept de « consentement présumé » est au cœur de ces discussions. Si la CJUE a clairement affirmé que le consentement du peuple sahraoui est une condition de légalité, la Cour a expliqué que ce consentement peut être explicite ou présumé si un ensemble de conditions strictes est respecté. Premièrement, aucune responsabilité ne peut être imposée au peuple du Sahara Occidental.
Deuxièmement, le peuple sahraoui – qui n'est pas la population du territoire – doit recevoir un bénéfice spécifique, tangible, substantiel et vérifiable de l'exploitation des ressources naturelles de ce territoire, proportionnel au degré de cette exploitation.
Les négociateurs marocains et européens semblent exploiter cette nuance juridique : le consentement pourrait, sous certaines conditions, être « implicite » s’il y a des avantages concrets pour le peuple sahraoui et qu’aucune obligation ne lui est imposée. Les conditions posées par la CJUE semblent toutefois peu susceptibles d’être respectées, comme l’indique l’article de WSRW faisant suite à l’arrêt. Les arrêts de la CJUE ne concernent pas la redistribution des avantages ; ils visent avant tout le respect du droit à l’autodétermination du peuple du Sahara Occidental. Cela signifie, par exemple, que l’application du consentement présumé exigerait que le Maroc accepte le territoire du Sahara Occidental comme séparé et distinct et qu’il ne puisse y agir souverainement. Il est inconcevable que le Maroc accepte cela en échange de droits de douane réduits sur les produits de Dakhla.
Des géants agricoles marocains comme Azura, Delassus et Les Domaines Agricoles (propriété de la monarchie marocaine) proposeraient désormais des mécanismes financiers visant à mettre en avant ces « avantages ». Selon Africa Intelligence, il pourrait s'agir de projets de développement symboliques ou de programmes de financement indirect s'étendant même aux camps de réfugiés sahraouis en Algérie.
La capacité de ces mesures à résister à un examen juridique est toutefois incertaine, d'autant plus que le Front Polisario, reconnu par les tribunaux de l'UE comme l'interlocuteur légitime du peuple du Sahara Occidental, pourrait encore contester ces cadres.
« Les institutions européennes sont désormais confrontées au choix de défendre l'État de droit ou de faciliter des pratiques qui le défient ouvertement. Leurs actions pourraient non seulement révéler la position de l'UE sur les droits du peuple du Sahara Occidental, mais aussi sur l'intégrité de son propre système judiciaire », déclare Sara Eyckmans de Western Sahara Resource Watch (WSRW).
Africa Intelligence a rapporté le 4 juillet qu'Azura est en train de réorganiser sa structure d'entreprise en raison d'une faillite, y compris à Dakhla, et a émis l'hypothèse que cette décision vise à s'adapter au nouveau paysage commercial de l'UE suite à la décision.
WSRW a publié hier un article expliquant que des agriculteurs espagnols et une association de défense des consommateurs ont déposé une plainte auprès des autorités espagnoles de protection des consommateurs concernant l'étiquetage erroné des tomates Azura par Carrefour.
Étiqueter à tort des produits du Sahara Occidental comme « Fabriqué au Maroc » n'est pas conforme à l'arrêt rendu par la CJUE le même jour que l'arrêt susmentionné concernant l'accord commercial UE-Maroc.
Dans cet arrêt, également du 4 octobre 2024, la Cour de justice de l'Union européenne a conclu que le Sahara Occidental est séparé et distinct du Maroc et qu'il est considéré comme un territoire douanier distinct en vertu du droit de l'Union européenne. Par conséquent, la Cour a jugé que les produits de la pêche et les produits agricoles du Sahara Occidental ne peuvent être vendus comme « Fabriqué au Maroc » sur le marché de l'UE.
Étiqueter les produits du Sahara Occidental comme « Fabriqué au Sahara Occidental » est cependant considéré comme impensable par la diplomatie marocaine. Pour contourner cette exigence, Rabat et Bruxelles envisagent plusieurs alternatives, rapporte Africa Intelligence.
Plus tôt cette année, African Intelligence a révélé que la CGEM, avec l'argent d'Azura, avait versé à l'agence de relations publiques danoise Rud Pedersen jusqu'à 200 000 euros pour défendre les ventes de l'entreprise dans l'UE suite aux arrêts de la CJUE. Le contrat a été négocié par Abir Lemseffer elle-même.
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Dans les derniers rapports financiers de Voltalia, l'entreprise française de production d'énergie de sources renouvelables, a supprimé la participation qu'elle détenait dans un parc éolien au Sahara Occidental occupé.
La construction d'un centre de données hyperscale de 500 MW pour l’intelligence artificielle est envisagé dans le territoire occupé.
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